par Henri LAVACHERY Extrait de l'Annuaire de l'Académie royale de Belgique, 1950
La splendeur d'un automne insolite nous invite à la promenade; prenons la route des bois, celle du Brabant wallon.
Ohain. Le village a distribué avec goût ses maisons, ses vergers et ses cultures
parmi de beaux arbres, autour d'un étang et sur quelques mamelons aimables.
L'église porte un chapeau pointu. La place est un pré; il y a un château.
Devant l'hôtel-de-ville dont on ne dira rien, un petit obélisque commémoratif
paît l'herbe longue dans l'ombre tremblante des peupliers. De sa fenêtre, en
se penchant, Albert Delstanche pouvait le voir. L'atelier de l'aquafortiste
sent la sève et le foin.
Le Maître n'est plus, mais la maison et le jardin sont vivants et de jeunes
artistes de sa lignée travaillent aujourd'hui à la place où Albert Delstanche
en la fin de sa vie connut les joies et les scrupules de son labeur.
Ainsi, depuis longtemps dans cette famille, de vieilles en jeunes mains,
passe le flambeau...
Albert Delstanche n'était-il pas le petit-fils de Jean-Baptiste Madou?
Cet artiste, probe et savant, sensible à la vie anecdotique, "greuzisant" encore
en Belgique en un temps où les artistes français étaient déjà romantiques,
réalistes, impressionnistes même, se pencha sur les premiers dessins du jeune
Albert. Peut-être pouvons-nous reconnaître dans l'adresse avec laquelle Delstanche
groupera les personnages de ses illustrations, un souvenir des conseils de l'auteur
de la "Rixe au cabaret" ?
Dès son plus jeune âge, Albert Delstanche cherchera à s'exprimer aussi bien par la plume que par le crayon. Sa soeur, aujourd'hui Madame C. Hennebert, lorsqu'elle était jeune pensionnaire à Londres, recevait de lui des lettres où textes et dessins se mêlent et se complètent.
Le Cabinet des Estampes de notre Bibliothèque Royale, dans sa très importante collection des oeuvres de l'artiste, conserve l'un de ses premiers dessins imprimés.
Delstanche a dix-neuf ans. On l'a chargé de représenter les bénéficiaires d'une
fête donnée par le Cercle des Eclaireurs du Denier des Ecoles : des vieillards,
des veuves et des orphelins; leurs effigies vêtues de noir encadrent le
programme. Le trait est sobre voire synthétique.
Dans leur dépouillement, ces modestes figures accèdent au monumental.
Dès les débuts la vision plastique de Delstanche témoigne d'avoir été soumise
à l'épreuve de l'esprit. Jusqu'au bout, quels que soient parfois ses sacrifices
inévitables au réalisme dit flamand de nos traditions lointaines, Delstanche restera
l'intellectuel conscient que nous décrit du reste le schéma de sa biographie.
(voir plus loin).
Cependant personne dans sa famille (et lui-même à peine), en dépit de ses dons,
ne songeait à l'encourager vers une carrière d'artiste. Personnellement, me
dit-on, il avait un grand penchant pour l'étude de la médecine, traditionnelle du reste
du côté de son père.
Mais ce dernier souhaitait voir son fils avocat. Respectueux de la volonté
paternelle, Delstanche poussa l'obéissance jusqu'à passer ses examens "avec
la plus grande distinction" !
Un oncle, esprit libre et généreux, le prend pour stagiaire. Voici Albert
Delstanche avocat, son début est très brillant, tout le monde s'accorde
à lui prédire un bel avenir.
Or, il abandonne la carrière aussitôt commencée. Il se marie avec celle
qui sera la chère et compréhensive compagne de toute sa vie; elle appartient
à une famille prodigieusement douée pour les arts.
Sans doute Delstanche rencontre-t-il enfin les encouragements véritables
qui jusqu'alors lui avaient manqués. Libéré du barreau, il s'inscrit à
l'Académie des Beaux-Arts. Des maîtres, bons praticiens mais de personnalité
suffisamment médiocre pour ne pas l'imposer à leurs élèves; de bons maîtres,
tous comptes faits comme en témoigne l'exemple d'un van Noort qui forma,
entr'autres, Rubens...
Delstanche parachève la connaissance de son métier à Dusseldorf. L'académie
de la ville rhénane remonte à 1767 mais a été surtout célèbre dans la première
moitié du XIXème siècle. L'école de Dusseldorf, malgré ses prétentions
à la grande peinture de composition, vaut surtout pour nous par ses paysages.
Tard dans le XIXème siècle, ceux-ci perpétuaient une tradition
romantique, inspirée elle-même par les écoles napolitaines et génoises du XVIIIème.
Un certain sens dramatique de la composition, notamment des tableaux de nature,
habités par d'énormes nuages ou visités par des météores (vues de Ramscapelle en 1927)
d'autre part, parfois une stylisation un peu lourde, trop appuyée (grandes
planches maximo, paysages et natures-mortes de 1912) seraient, en bien comme en mal,
les traces laissées dans l'oeuvre de Delstanche par son stage rhénan.
De ce que l'artiste produit entre 1895 et 1903, je ne connais rien. Mais on sait qu'à cette époque, il cherche une occupation qui concilie sa vocation d'artiste et sa nature foncière de lettré. Le Cabinet des Estampes apparait devoir lui fournir des fonctions idéales.
En fait Delstanche se cherche. Ses premiers essais à l'eau-forte, quelques
petites planches datées de 1904, 1905, 1906, marquent une réelle puissance de trait.
Mais quelle différence avec ce qu'il produira plus tard. La lumière est absente
de ces tracés un peu froids. Mais quelle leçon que cette recherche de la
pureté des lignes !
De ces exercices si bien "écrits", (1904 Gerbes, 1906 Ma fille Isa)
Delstanche conservera toute sa vie une solidité exemplaire dans l'établissement
de ses planches. Recherches encore et exercices que les études qu'il publie
alors dans diverses revues.
L'une a trait à la gravure au XVIIème siècle, signe d'un penchant
et d'une influence dont on retrouvera la trace féconde au cours de toute
l'existence de Delstanche. Cette préférence devient flagrante dès 1907
dans certains petits paysages à l'eau-forte comme le moulin de Put, où la
lumière et l'ombre engagent ce dialogue dramatique, étrangement humain, où
se complurent les maîtres du paysage au XVIIème siècle, aux
Pays-Bas.
Il est curieux de constater que l'oeuvre de Delstanche ne semble pas porter
de traces de ce voyage d'étude en Italie de 1908. Les joies de l'amateur et
du lettré firent-elles tort au créateur ? Mais devons-nous tellement
nous étonner de ce qu'un artiste aussi conscient n'ait rien rapporté d'Italie
qu'il jugea bon de montrer ? L'art italien dans son ensemble est si grand,
il a conquis par la puissance de ses sortilèges des domaines si étendus, sa
gloire est si éclatante et si peu discutée, que l'artiste qui la rencontre
pour la première fois, se refusera, s'il est noble et modeste, à ajouter de
ses oeuvres aux pieds de tant d'ouvrages de génie.
Si Delstanche n'a pas montré ses dessins d'Italie, nous en retiendrons
plus d'estime pour son caractère. Son art d'autre part traverse en cet instant
une crise. 1910 voit Delstanche renoncer à ce qui sera un jour l'un des éléments
de sa maîtrise, cette touche légère, découverte par lui en 1907. Elle entoure
et caresse si joliment la forme solidement esquissée que sa délicatesse évoque
tout en la matérialisant ! Mais 1910 ... Delstanche se perd dans les détails,
stylise à l'excès des paysages de Flandre où les valeurs s'égarent.
Tout à coup l'artiste quitte les fonctions qu'il exerce à la Bibliothèque
Royale. Son art ne se donnera à lui, dirait-on, que si Delstanche consent à
s'y consacrer en entier. Il se libère et aussitôt on sent qu'il respire mieux
son air natal. Une vue à Beersel, datée de 1911, frémissante, à peine touchée,
comme une impression whistlerienne, retentit comme un cri de libération.
Ce "Beersel" est la suite directe du "Moulin de Put" de 1907.
Et cependant ce beau métier pur, ces moyens simples, cette éloquence directe ne satisfont pas (pas encore...) cet éternel insatisfait de lui-même. C'est de ce moment, 1911, que datent ses premiers essais sérieux de vernis mous. A la vérité le début de ses tentatives date de 1905. Nous avons de cette époque un croquis au vernis mou représentant van Lerberghe. On voit le poète affalé, la moustache proéminente, nietschéenne sous un nez un peu gros, le regard perdu dans cet ennui amer que nourrissaient un mal sans merci et une sentimentalité ardente aux objets trop divers... Ce portrait que l'on ne connaît guère restera un document précieux sur les derniers mois de l'auteur de la Chanson d'Eve.
Vernis mous, 1911: Delstanche a traité des natures-mortes, choux et canards, poissons, homard dans une matière grasse qui s'attache aux détails tout en les dominant. Les formats sont très grands, un peu trop même pour un temps qui cependant fit fête aux énormes épreuves à l'eau-forte de Brangwyn. Quelques paysages aussi, de la même façon, faits en Flandre, où Delstanche passe désormais une partie de l'année.
C'est Oudenburg encore qui apparaît dans son caractère antique et paysan
sur les premiers bois que taille Albert Delstanche en 1914. Il continue à
graver le bois en Angleterre où la guerre l'exile. Et c'est à représenter la
terre natale que martèlent les lourdes bottes de l'ennemi qu'il applique tout
son talent. Celui-ci devient vite notoire, de l'autre côté de la Manche, là
où renaissent sous son burin les coins les plus pittoresques de Flandre.
Dans une précieuse étude, Louis Lebeer signale que
la technique xylographique de Delstanche était celle du XIXème
siècle. Ceci la sépare nettement de la technique archaïsante qu'illustra
chez nous avec tant d'éclat, un Maurice Brocas. A la vérité, la gravure sur
bois, au XIXème siècle, en Europe occidentale, était plutôt une
industrie qu'un art. C'était jusque vers 1880, ne l'oublions pas, le moyen
le plus économique de reproduire des dessins et même des photographies, destinés
à l'illustration des revues et des ouvrages de tous genres, depuis les livres de
cuisine, où les bois sont encore de rigueur, jusqu'aux oeuvres des poètes.
L'information et la publicité naissante faisaient une grande consommation
de graveurs sur bois. Les premières années de l'"Illustration" de Paris sont
un monument à la gloire de la xylographie utilitaire.
Or la technique de ce temps s'applique dirait-on à imiter dans le bois les astuces de la taille du métal. Et c'est bien ce que fit Delstanche: quoi qu'il tentât, l'aquafortiste reparaîssait en lui comme pour lui rappeler que l'eau-forte serait le vrai chemin de sa gloire...
Et pourtant, Delstanche était possédé du désir de trouver d'autres modes d'expression...
C'est de 1920 que datent ses fameux monotypes, fleurs, scènes à plusieurs personnages. Pas de paysages. Les recherches et les procédés que Delstanche mit en oeuvre à cette occasion ont eu une grande influence sur une partie de sa production artistique, les illustrations de livres. Celles-ci, écrit encore Louis Lebeer "doivent être considérées comme des sortes de monotypes mordus dans le cuivre à la faveur d'un vernis sauté".
Delstanche lui-même attachait à ses monotypes une importance toute particulière. Dans une communication préparée à l'intention de la Classe des Beaux-Arts de l'Académie Royale de Belgique, et qu'il termina peu de temps avant sa mort, l'artiste a fait un exposé détaillé de son procédé dont l'idée lui était venue après la lecture de notes laissées par Edgard Degas. Nous avons considéré comme un pieux devoir vis à vis de la mémoire de Delstanche de reproduire dans le bulletin de notre Classe, au compte-rendu de la séance d'octobre cette communication que Delstanche n'a pu faire connaître à ses confrères de son vivant. Je remercie ici vivement les filles de l'artiste de m'avoir communiqué ce texte resté inédit. On y verra, outre un charmant exemple du style de Delstanche, vif comme son trait à l'eau-forte, une nouvelle preuve du souci de recherche technique qui animait la plupart des démarches de ce grand petit-maître.
Les monotypes font date dans l'oeuvre de Delstanche sans être cependant
par eux-même _et je m'excuse de cette opinion_ des réalisations particulièrement
belles. L'élégance et la précision du trait, dont je me suis plu à signaler
ailleurs les joies qu'elles donnent, se perdent ici dans les masses sombres
contrastant avec des phosphorescences claires mais indécises. On s'étonne de
trouver des effets dûs au hasard alors que dans l'eau-forte Delstanche commande
si parfaitement les jeux des noirs et des blancs.
De 1920 à 1925 peu d'oeuvres caractéristiques nous retiendront sinon ce
subtil croquis d'une Jeune fille à la couture daté de 1923. A peine la plaque
fut-elle égratignée. Le contraste est puissant et sobre. En quelques traits
tout est dit. Et comment!
Après ses bois de la guerre et ses monotypes aussi savants que laborieux,
Delstanche en revient à son expression la plus authentique. Ceci apparaîtra
de mieux en mieux en 1925, 1926 et surtout 1927, où la mer lui inspire une
série d'eaux-fortes vibrantes d'une lumière diaprée de traits: leur réseau,
d'une finesse exquise, semble capter jusqu'à l'air lui-même. Jamais Ensor dans
ses paysages marins, n'a été plus loin dans l'évocation d'un vide pétillant
de clartés. Les vues prises à Saint-Job, en 1926 sont déjà d'une veine pareille.
Notons qu'à cette époque, et surtout, je le répète, en 1927, il sourd de
l'oeuvre de Delstanche comme l'annonce d'un bonheur calme, cette sérénité
contemplative qui apparaîtra en pleine lumière lors de sa période féconde
et magistrale d'Ohain. Tant il est vrai que Delstanche ne sera pleinement
lui-même c'est-à-dire l'un des grands aquafortistes de notre temps, qu'au
moment de sa vie où un site fraternel l'accueille, en lui accordant un infini
loisir et le climat d'un calme bonheur.
A cette époque, 1925, Delstanche produit aussi la plus extraordinaire
de ses illustrations, celle de "La Route d'Emeraude". Demolder excellait
à transposer les tableaux d'un musée en circonstances romanesques. L'existence
imaginaire du peintre Kobus Barent sort toute vive des oeuvres des maîtres
hollandais du XVIIème siècle.
Illustrer la "Route d'Emeraude" devenait donc une périlleuse entreprise. Il ne s'agissait de rien de moins que de rendre à la peinture ce qu'on lui avait pris. Attirant comme le chant des sirènes, le pastiche se dressait devant Delstanche. Echappa-t-il à la tentation ? S'il résista aux maîtres secondaires, il rendit les armes devant le plus grand. Pouvons-nous lui reprocher d'avoir cèdé à Rembrandt ?
Les planches de la "Route d'Emeraude" dont M.Lebeer nous expliquait plus haut le curieux ragoût technique, rappellent les eaux-fortes de Rembrandt parce qu'elles sont comme celles-là des combats d'ombres et de clartés. Comme chez Rembrandt, ces ténèbres déchirées de flammes pâles s'animent d'une vie qui transcende celle des personnages qui s'y débattent dans de pauvres gestes humains. Certes voilà des scènes du roman mais, commentaires bien plus que transpositions plastiques d'un texte, elles sont des oeuvres indépendantes. Outre ses planches à l'eau-forte, Delstanche a orné le livre d'encadrements, de bandeaux, de lettrines et de culs-de-lampe. Il a gravé ces ornements sur bois avec une truculence extraordinaire et leur fantaisie un peu grasse gambade au travers de la noble typographie du texte.
A peu de temps de là, un vernis-mou, "Une vente chez Fiévez": d'élégantes silhouettes, d'un rare dessin. Ne sera-ce pas l'adieu de Delstanche à tout art qui ne sera pas directement inspiré de la nature ?
C'est alors la retraite à Ohain, la studieuse vie dans la maison de la place et la communion sans cesse plus intime avec ce paysage du Brabant wallon.
Paysage benoît et doux, modeste, dont le ciel déployé affirme la grandeur.
Les nuages roulants qui l'habitent y reportent la rondeur des groupes d'arbres posés aux lisières des champs, façon jardin anglais. La route aux ornières bien creusées épouse le contour des bosquets. Les vieux pommiers usés à force de donner leurs fruits sans retour, descendent sur des béquilles vers l'humble Lasne. Tantôt serpent dans l'herbe, tantôt miroir aux saules tendu, elle glisse enveloppée de sa chevelure verte d'obscurs destins.
Les maisons se serrent dans des nids de verdure, seule l'église lève la tête et ses cloches disent à chacun ce qu'ils attendent d'elles. Mais l'horizon s'évade vers d'autres prés, d'autres étangs velus de leurs roseaux, d'autres bois sous des lumières qui viennent et qui passent.
C'est le pays où Delstanche a promené, des années durant, sa féconde rêverie, son oeil intelligent, sa main preste et son culte des maîtres. De 1929 à 1941 le pays d'Ohain aura été le champ d'étude, unique, de l'artiste. Eaux-fortes de format moyen, lavis à la sépia, soutenus par quelques traits puissants à l'encre de Chine, d'un roseau affuté qu'une main ferme conduit. Cette paix des champs que célèbrent ces sites, Delstanche l'a aimée assez pour l'élever au-dessus d'elle-même. Devant son oeuvre d'Ohain, comment ne pas penser à Claude Lorrain, à Poussin lui-même ? Rappelons-nous du dernier ces sous-bois troués de lumière ou les arbres dont les groupes, traités minutieusement et feuille à feuille, composent un grand ensemble. C'est au Louvre que l'on peut voir quelques uns de ces dessins. Reprenons aussi l'une ou l'autre gravure du premier : architectures agrestes, grands ombrages étendus sur des pâtres et des troupeaux tandis que se déploient les horizontales solennelles d'une plaine à l'italienne que fleurissent quelques ruines ou coteaux dans des verdures.
Les arbres de Delstanche s'animent comme ceux du Lorrain, dans une réalité à la fois minutieuse et synthétique. Le feuillage s'arrondit en mille boucles, en mille volutes et pourtant la masse d'un bloc se sculpte sur le ciel. Ceci surtout dans l'eau-forte. Dans le lavis, seules les valeurs révèlent masse et profondeur des frondaisons. Demeure la solidité inébranlable de toute la construction.
Pourtant vers 1939, année particulièrement féconde, Delstanche se détache peu à peu de son goût pour l'arabesque de détail. Est-ce progrès ? Je ne puis l'affirmer. Les paysages taraudés de traits où l'on voit naître leur visage restent aussi purs à coté des derniers ouvrages, dépouillés de tant d'ornements. Ici l'eau-forte rejoint les croquis au roseau. Quelques lignes autoritaires, parlent autant que cent traits empressés à décrire. La lumière se répand en nappes sans plis, les harmoniques du paysage se nouent en faisceau.
C'est le temps aussi de ces subtils croquis où Delstanche saisissait dans le vif de leurs gestes ses petits-enfants. Une tendresse circule entre ces traits éloquents. Jeunesse éternelle de l'artiste...il semble que ce soit vers la fin de ses jours que Delstanche ait le mieux compris _et chanté_ l'enfance.
1940. Une route entre des haies. Quelques arbres hérissés au bord d'un champ nu, raviné. Le ciel est toute clarté.
Un Promeneur dont on ne voit pas le visage suit son chemein et s'éloigne dans le paisible après-midi. Pour nous Delstanche restera ce promeneur enivré qui toute sa vie marcha à la recherche de soi-même. Un jour il se rencontra dans ces paysages d'Ohain dont il découvrit, pénétra et inventa la beauté.
L'oeuvre d'Albert Delstanche présente, entr'autre, cet intérêt rare d'être un ouvrage de lettré.
Certes tout manieur habile de la pointe ou du burin et quiconque a trouvé que sa vision du monde ne s'exprimerait jamais mieux que par des traits noirs sur un subjectile blanc, ceux-là se classent tout naturellement entre les peintres et les écrivains. Des premiers ils défendent les formes et les valeurs, des autres, ils cultivent le symbolisme du trait. Ainsi les critiques de la vieille Chine, où fleurirentles plus grands peintres de noir et blanc, jugeaient de la peinture et des lettres d'un point de vue unique, celui de l'expression.
Ce langage de l'esprit, uni à l'adresse consommée de la main, c'est lui que Delstanche nous parle au travers de ses visions les plus fraîches et les plus vibrantes. Cette nature inspiratrice, il la chérissait mais, comme les maîtres anciens dont il fut l'émule digne, ne manquait pas de l'ordonner suivant son désir.
21-10-1949 | Henri LAVACHERY |
1870 | Albert Delstanche naît à Bruxelles le 8 mai. Sa mère est la fille du peintre Jean-Baptiste Madou. |
1891 | Il conquiert son diplôme de docteur en droit à l'Université Libre de Bruxelles avec la plus grande distinction. Son goût personnel l'eût cependant porté plutôt vers l'étude de la médecine. |
1892-1893 | Stage d'avocat chez son oncle, Adolphe Demeur, député socialiste. |
1894 | Il s'inscrit comme avocat au barreau de Bruxelles. Il ne plaide qu'une fois mais fort bien. |
1895 | Il épouse Madeleine Van der Borght. |
1895-1898 | Il suit les cours de l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Parmi ses maîtres se trouvent Alexandre Robert, son oncle, et Joseph Stallaert. |
1899 | Il suit les cours de l'Académie de Dusseldorf. |
1900(?) | Il conquiert le diplôme de licencié en Art et Archéologie après avoir suivi les cours au Musée des Beaux-Arts à Bruxelles. Il passe également l'examen donnant accès dans le personnel scientifique de la Bibliothèque Royale. |
1903 | Il entre comme volontaire à la Bibliothèque Royale. |
1904 | Il est nommé attaché à la Bibliothèque Royale le 7 mai et est désigné pour le Cabinet des Estampes dont René Van Batselaer était le conservateur. |
1904-1911 | Il publie quelques articles importants sur l'Histoire de l'Art ainsi que des critiques d'expositions dans des revues belges. |
1908 | Il fait un voyage d'étude en Italie. |
1911 | Sur sa demande, il est mis en disponibilité à la Bibliothèque Royale et dès lors se consacre entièrement à son art. |
1911-1914 | Il séjourne à Bruxelles et à Oudenburg. |
1914-1919 | Il passe le temps de la guerre à Londres. |
1919 | Sa première exposition d'ensemble est ouverte à Bruxelles, au Cercle Artistique. |
1920 | Séjour à Roquebrune. |
1921-1929 | Vie à Bruxelles, coupée de séjours à la mer du Nord. |
1929-1940 | Il se fixe à Ohain. |
1940 | Il est élu membre correspondant de la classe des Beaux-Arts de l'Académie Royale de Belgique, le 4 janvier. |
1941 | Albert Delstanche meurt à Bruxelles, le 6 juillet, après une longue maladie, entouré de ses enfants et petits-enfants. |
N.B.: Sauf indications contraires, il s'agit d'eaux-fortes. La plupart des oeuvres citées appartiennent au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Royale à Bruxelles et aux collections des enfants de l'artiste.
1885 | "Ma première estampe fut créée en 1885, j'avais alors quinze ans; elle illustra un bout d'article publié par moi dans le "Premier Pas", journal hebdomadaire, édité par les élèves de poésie de l'Athénée d'Ixelles et qui vécut deux ans". (Note inédite de l'artiste). |
1889 | Programme d'une fête donnée par le Cercle des Eclaireurs du Denier des Ecoles. |
1891 | Programme d'une fête d'étudiants de l'Université Libre de Bruxelles. |
1904 | Ex-Libris Simone Van der Borght. Les Gerbes. |
1905 | Charles van Lerberghe à Botassart (vernis mou). |
1906 | Ma fille Isa. |
1907 | Liseuse (vernis mou). Le moulin de Put. |
1910 | Diverses vues prises en Flandre. |
1911 | Paysage à Beersel. Poissons-Oiseaux (vernis mous). |
1912 | Grandes natures mortes (vernis mous). |
1914 | Oudenburg (sic) (bois). |
1915 | The little towns of Flanders.
Twelve Woodcuts by A.D. with notes by the artist and a prefattory letter from Emile Verhaeren. Chatto and Windus, London. |
1918 | A boy of Bruges.
A story of Belgian Child life by Emile and Tita Cammaerts with sketches by A.D. E.P. Dutton and Co, New York. |
1918 | The legend of the glorious adventures of Tyl Ulenspiegel in the land of
Flanders and Elsewhere.
By Charles Decoster, with twenty woodcuts by A.D. Translated from the french by Geoffrey Whitworth. Chatto and Windus, London. |
1920 | Flemish legends.
By Charles De Coster with eight woodcuts by A.D. Translated from the french by Harold Taylor. Chatto and Windus, London. Les monotypes. |
1923 | Jeune fille cousant. |
1925 | Marines.
Emile Verhaeren. La guirlande des dunes. Bois d'A.D. Bruxelles. Editions de la Société de Bibliophiles "Les Cinquante". Eugène Demolder. La Route d'Emeraude. Eaux-fortes et bois d'A.D. Bruxelles. "Les Cinquante". |
1926 | Paysages à Saint-Job.
Eugène Demolder. La légende d'Yperdamme. Illustrations d'A.D. tirées par lui-même. Bruxelles. Oscar Lamberty. |
1927 | Marines.
Maisons à Knocke (2ème état). |
1928 | Une vente chez Fiévez (vernis mou, épreuve unique). |
1929-1939 | Ohain: paysages (eaux-fortes et lavis-dessins au roseau et encre de Chine).
Attitudes (croquis d'enfants et de jeunes gens au roseau et à l'encre de Chine - à l'eau-forte). |
1940 | Le promeneur. |
notes
Introduction à l'exposition Albert Delstanche.
Bruxelles. Bibliothèque Royale, 1941.